Monde d’après – Nouvelle méthodologie de travail : Télétravail
Les entreprises françaises n’ont pas eu d’autre choix que de le mettre en place pendant le confinement. Au-delà de l’urgence sanitaire, le télétravail peut-il toutefois perdurer ? Deux dirigeants, Frank Petitdemange (Actual) et Baptiste Bosser (Was Light), témoignent et ouvrent des pistes de réflexion.
Le chiffre peut donner le tournis : en France, le télétravail a concerné quelque cinq millions de salariés pendant les huit semaines de confinement imposées par l’épidémie de Covid-19. Et à ce jour, alors que le déconfinement se poursuit, ils sont encore nombreux à ne pas avoir rejoint leur poste de travail ni leurs collègues. Mis en œuvre sous la contrainte, dans un contexte d’urgence sanitaire, le télétravail peut-il perdurer dans le monde de l’entreprise français ?
En 2018, seuls 6 % des salariés le pratiquaient de manière contractuelle. La même année, 29% l’avaient pratiqué occasionnellement ou régulièrement, contre 25% l’année précédente (*). Dans les pays d’Europe du Nord, plus de 20 % des actifs sont des télétravailleurs. La Finlande, pionnière en la matière, en comptait déjà un tiers (32,9 %) en 2010. Viennent ensuite la Belgique et la Suède avec 28 %.
Deux enquêtes réalisées en mai dernier (par Malakoff Humanis et ChooseMyCompany), dont l’une sur un échantillon de 10 000 salariés français issus de 200 entreprises, montrent que 73 % et 74 % des personnes interrogées souhaitent que le télétravail se prolonge au-delà de la période de confinement. Et ce, même si des différences d’approche existent, en particulier entre les seniors et les plus jeunes qui expriment davantage de réticences.
Le télétravail interroge les organisations du travail, donc le management. Les spécificités du secteur impacté sont également à prendre en compte. C’est le cas, par exemple, pour l’industrie où les équipes ont été parfois nombreuses à rester en production pendant le confinement. Baptiste Bosser, dirigeant de la société Was Light, qui conçoit des films électroluminescents, et de sa filiale Clean Zone Protect, qui fournit des équipements de protection permanents, explique ainsi avoir « gardé des salariés sur le terrain de façon très, très forte, surtout pendant cette période sanitaire très complexe ». Il poursuit, à propos du télétravail : « Les postes sur lesquels on a dû le mettre en place sont la bureautique (comptabilité, secrétariat, gestion), toute la partie back office (marketing, communication) et aussi la partie commerciale de l’activité pour laquelle beaucoup de choses peuvent se faire à distance. Certains collaborateurs étaient déjà un peu habitués au distanciel ; si bien que, pendant cette période, c’est un peu moins de terrain et un peu plus de maison. »
Dans le tertiaire, les changements d’organisation sont a priori plus souples à piloter, ce qui n’empêche pas une certaine méthodologie. « Avec mes équipes, j’ai instauré le télétravail pratiquement dès le départ », témoigne Frank Petitdemange, directeur régional du groupe Actual. « J’ai proposé à mes équipes qu’on puisse être en contact chaque jour. Je leur ai posé la question si elles étaient ou pas d’accord avec le principe, car il ne s’agit pas d’imposer de la réunion tout le temps. Elles ont souhaité qu’on se voie en visioconférence chaque jour pour qu’on puisse faire un travail de fond », développe le manager, qui pratique par ailleurs le coaching auprès de dirigeants. Un atout pour trouver le bon tempo : « Mes collaborateurs ont pu s’appuyer sur moi. Je pense que la première qualité d’un manager dans ces moments-là, c’est que les collaborateurs sentent qu’il est toujours présent et qu’il ne prend pas la fuite face à une situation complexe. On a gardé une cohésion d’équipe et cela a été très enrichissant pour chacun. »
Conserver la cohésion, l’esprit d’équipe peut se révéler une gageure pour le manager. « Il a fallu jongler ! », résume Baptiste Bosser. « L’esprit d’équipe n’a pas été vraiment chamboulé dans un secteur comme le nôtre car nos équipes étaient beaucoup sur le terrain, ajoute le dirigeant de Was Light. Mais il ne fallait pas oublier ceux qui travaillaient à distance, donc on faisait des points en début et en fin de journée et on restait disponible pour eux si besoin. »
Avec le télétravail, le N+1 « n’est plus un commandant qui donne des ordres mais un entraîneur d’équipe », comme l’explique Philippe Planterose, sociologue du travail, et président de l’Association française du télétravail et des téléactivités (AFTT).
Si les avantages du télétravail peuvent être nombreux du point de vue du salarié (réduction des temps de trajets, diminution de la fatigue, autonomie qui favorise la productivité…), les managers peuvent aussi y trouver leur compte : « Parmi les avantages, il y a pour moi la réactivité des équipes : elles sont à la maison mais disponibles et sont conscientes que le boulot est prioritaire », constate Baptiste Bosser.
Le bilan est, aussi, plutôt satisfaisant aux yeux de Frank Petitdemange, qui rappelle cependant la nécessité d’un télétravail bien organisé : « On peut certes faire du télétravail mais pas dans n’importe quelles conditions, il faut un cadre, un espace dédié, d’où l’intérêt de regarder la situation particulière de chacun. Par exemple, avec des enfants en bas âge, c’est très compliqué de faire du télétravail efficace, il faut vraiment disposer d’un espace spécifique. D’ailleurs, à ce propos, on constate que des architectes ont reçu énormément de demandes – ce qui n’était pas du tout le cas avant– pour créer des espaces de travail chez les particuliers », détaille le DR d’Actual.
Rappelons que, dans les entreprises de plus de 50 salariés, le déploiement du télétravail doit d’autant plus être organisé qu’un accord collectif doit être signé. Idem pour l’avenant au contrat de travail des collaborateurs concernés qui précise les conditions du télétravail.
(*) Source : Etude Malakoff Mederic 2nde édition, Télétravail : regards croisés salariés dirigeants, 2019